Il leur fallut
en fait six heures pour arriver à Las Vegas qui s’étendait au milieu du désert comme un improbable joyau. Beaucoup de gens dans les rues. La journée de travail était terminée et ils profitaient de la fraîcheur du début de la soirée, assis sur les pelouses, les bancs des arrêts d’autobus, les escaliers des monts-de-piété et des chapelles autrefois spécialisées dans les mariages-minute.
Curieux, ils tournaient la tête pour regarder passer les voitures de police, puis reprenaient leurs conversations.
Larry regardait autour de lui. L’électricité fonctionnait, les rues étaient dégagées, plus une trace des dégâts laissés par les vandales.
– Glen avait raison dit-il. Avec lui, les trains arrivent à l’heure. Mais je me demande si c’est la bonne manière. Vous avez tous l’air un peu nerveux, Dorgan.
Dorgan ne répondit pas.
Ils arrivaient à la prison et les deux voitures allèrent se ranger à l’arrière, dans une vaste cour bétonnée. Lorsque Larry sortit, grimaçant un peu quand il s’étira les muscles, il vit deux paires de menottes dans les mains de Dorgan.
– Hé, quand même, c’est pas la peine.
– Je regrette. Ce sont les ordres.
– Non. On m’a jamais mis les menottes de ma vie, protesta Ralph. On m’a ramassé plusieurs fois quand j’étais saoul, avant mon mariage, mais on m’a jamais passé les menottes.
Ralph parlait très lentement. Son accent de l’Oklahoma était devenu nettement plus marqué. Larry comprit qu’il était fou de colère.
– J’ai des ordres, répondit Dorgan. Ne me compliquez pas la vie.
– Tes ordres, dit Ralph, je sais qui te donne tes ordres. Il a assassiné mon copain Nick. Qu’est-ce que tu fous avec cette ordure ? T’as pourtant l’air d’un brave type quand t’es tout seul.
Ses yeux interrogeaient Dorgan avec tant de véhémence que l’autre secoua la tête et détourna les yeux.
– C’est mon boulot. Point final. Allez, tends les poignets ou il va falloir que j’appelle quelqu’un.
Larry tendit les mains et Dorgan lui passa les menottes.
– Qu’est-ce que vous faisiez avant ? demanda Larry, curieux.
– J’étais dans la police de Santa Monica. Inspecteur.
– Et vous êtes avec lui.
C’est… désolé de dire ça, mais c’est vraiment plutôt rigolo.
Deux hommes arrivaient en poussant Glen Bateman sans ménagements. Dorgan leur lança un regard furieux.
– Qu’est-ce qui vous prend de le bousculer ?
– Si tu avais écouté ce type déblatérer pendant six heures, tu aurais envie de lui donner une petite dérouillée toi aussi, répondit l’un des hommes.
– Je veux pas savoir s’il déblatère ou pas ! Vous ne le touchez plus ! Et alors, reprit Dorgan en se retournant vers Larry, pourquoi trouvez-vous ça drôle que je sois avec lui ? Il y avait dix ans que j’étais flic quand l’Étrangleuse a débarqué. Ça m’a fait comprendre ce qui arrive quand ce sont des types comme vous qui conduisent le bateau, vous voyez.
– Jeune homme, répliqua Glen fort aimablement, votre expérience avec quelques bébés battus et quelques drogués ne vous autorise aucunement à vous jeter dans les bras d’un monstre.
– Emmenez-les, dit Dorgan d’une voix égale. Un par cellule, un par bloc.
– Voyez-vous, je ne pense pas que vous puissiez tenir longtemps le coup, jeune homme, reprit Glen. Il me semble tout simplement que vous n’avez pas suffisamment l’étoffe d’un nazi.
Cette fois, ce fut Dorgan qui bouscula Glen.